Vint le jour du dïner avec ses amis. Dès le matin, Rinri s'excusa de devoir m'abandonner et s'exila dans la cuisine. À part Hara et Masa, je ne savais pas qui j'allais rencontrer. [...]
À dix-huit heure cinquante-cinq, il m'annonça l'arrivée des invités.
- Les as-tu entendus? Deamandai-je.
- Non. Je les ai invités pour dix-neuf heures quinze. Cela signifie qu'ils seront là à dix-neuf heures.
À dix-neuf heures pile, un copu de gong synthetisé confirma cette ponctualité. Onze garçons attendaient derrière la porte, qui n'étaient pourtant pas arrivés ensemble.
Rinri les fit entrer, salua brièvement puis disparut dans la cuisine. Hara et Masa me gratifièrent d'un signe de tête. Les neuf autres se présentèrent. Le salon était juste assez grand pour nous contenir. Je servis les bières que Rinri avait prèparées.
Tout le monde me regardait en silence. Je tentai de susciter la conversation de ceux que je connaissais déjà, en vain, puis de ceux que je ne connaissais pas encore, peine perdue.
Intérieurement, j'implorai Rinri de passar à table afin que sa présence dissipe cette gêne. Mais les préparatifs ne devaient pas être finis.
Le mutisme pesait tant que je me mis à monologuer sur le premier sujet venu:
- Je n'auraies jamais cru que les Japonais aimaient tant la bière. J'ai vérifié ce soir ce que j'avais déjà remarqué bien des fois: quand on vous propose une boisson, vous choisissez toujours la bière.
Ils m'écoutaient avec politesse et ne disaient rien.
- Les Japonais buvaient-ils déjà de la bière dans le passé?
Les autres secouèrent la tête pour confirmer leur ignorance. Le silence se réinstalla.
- En Belgique, nous buvons beaucoup de bière aussi.
J'espérais que Hasa et Masa se rappelleraient mon cadeau de notre soirée précédente et en parlaraient, mais in n'en fut rien. J'en vins à reprendre la parole et dis tout ce que je savais sur les bières de mon pays. Les onze garçons se conduisirent comme si on les avait conviés à une conférence, m'écoutant respectueusement; je redoutai que l'un d'eux sortît un carnet pour noter. C'est peu dire que je me sentais ridicule.
Dès que je me taisais, cela reommençait. Les onze jeunes gens semblaient incommodés par ce silence: aucun, cependant, ne se serait dévoué pour m'aider. Parfois j'expérimentais leur attitude, les poussant jusqu'aux derniers retranchements de leur mutisme; cinq minutes, montre en main, s'écoulaient, sans un mot. Quand nous avions tous atteint le sommet du supplice, je relançais comme je pouvais:
- Il y a aussi la Rodenbach, qui est une bière rouge. On l'appelle la bière-vin.
Aussitôt, ils respiraient mieux. Je finis par espérer qu'ils me traiteraient comme une conférencière véritable et me poseraient des questions.
Quand Rinri nous appela à table, je soupirai de soulagement. Nous nous assîmes selon un plan oblong dont l'occupais le centre et je m'aperçus qu'il ne restait plus de place pour le maître des lieux.
- Tu as oublié de mettre un couvert por toi, lui murmurai-je.
- Non.
C'est alors que je compris: je serai la seule hôtesse de ce dîner. Rinri, telle une épouse japonaise, resterait cloîtré à la place dévolue aux esclaves.
Visiblement, j'en fus l'unique étonnée, à moins que la politesse des invités ne les empêchaât de manifester leur surprise. Un murmure flatteur salua la finesse des plats. J'espérais au moins que cette excellente chère leur délierait la langue. Il n'en fut rien. Chaque mets fut dégusté dans una silence religieux.
J'approuvais cette attitude. J'ai toujours trouvé révoltant cette contrainte de parler alors que l'on savoure des prodiges gastronomiques. Pensant que Rinri m'avait quand même sauvée en fin de compte, je me recueillis et me pourléchai sans rien dire.
Après cette extase alimentaire, je m'aperçus que le convives me regardaient d'un air un peu incommodé et interrogateur: ils semblaient ne pas comprendre pourquoi je ne m'occupais plus d'eux. Je décidai de faire la grève de la parole. S'ils voulaient parler, qu'ils parlent! Après ma conférence sur la bière belge, j'avais bien droit à mon repos et à mon repas. J'avais rendu mon tablier oratoire.
Rinri passa reprendre les plats vides et apporter à chacun un bol laqué de bouillon d'orchidées. Je le félicitait avec ferveur pour son oeuvre. Les autres avaient à ce point enregistré son rôle d'épouse japonaise qu'ils se contentèrent d'un mot élogieux. L'esclave baissait les yeux avec modestie et courut s'enfermer dans son eragastule sans prononcer une parole.
Le bouillon d'orchidées était aussi ravissant qu'insipide. Après la contemplation, il n'y avait plus de quoi s'occuper. Le silence redevint oppressant.
Ce fut alors que Hara me dit cette chose incroyable:
- Donc, vous en étiez à la bière-vin.
Ma cuiller s'immobilisa dans les airs et je compris: on m'intimait de reprendre ma conférence. Plus exactement, on avait décreté que j'étais ce soir la conversationneuse.
Les Nippons ont inventé ce métier formidable: faire la conversation. Ils ont remarqué que la plaie des dîners est ce fastidieux devoir de parole. Au Moyen Âge, lors des banquets impériaux, tout le monde se taisait et c'était très bien ainsi. Au XIXe siècle, la découverte dels usages occidentaux incita les gens distingués à parler à table. Ils découvrirent aussitôt l'ennui de cet effort qui fut un temps dévolu aux geishas. Ces dernières ne tardèrent pas à se raréfier et l'ingéniosité japonaise trouva la solution en créant l'empli de conversationneur.
Celui-ci reçoit, avant chaque mission, un dossier contenant le plan de table et l'identité des convives. Il lui appartient de se renseigner sur chacun dans les limites de la bienséance. Lors du repas, le conversationneur, muni d'un micro, tourne autour du festin en disant: “Monsieur Toshiba ici présent de la société bien connue, dirait probablement à monsieur Sato, qui fut dans la même promotion que lui au collège, qu'il a peu changé depuis cette époque. Ce dernier lui répondrait que la pratique intensive du golf aide à garder la forme, comme il le disait encore le mois passé dans l'Ashi Shimbun. Et monsieur Horié lui suggérerait à l'avenir d'accepter plutôt les interviews du Minichi Shimbun où il exerce la fonction de rédacteur en chef...”
Ce bla-bla, certes peu intéressant, mais pas moins que celui de nos dîners occidentaux, comporte l'avantage incontestable de permettre aux invités de manger en paix sans se forcer à parler. Le plus surprenant est qu'on écoute le conversationneur.
- On fabrique encore à Bruxelles une gueuze artisanale..., dis-je.
C'était reparti. Les amis de Rinri montrèrent sans tarder des signes de contentement.
L'ensemencement de la cervoise par les levures naturelles les passionna d'autant plus qu'il y avait eu une interruption. En mon for intérieur, je regrattai de ne pas être syndiquée: j'étais une conversationneuse sans salaire, comble des combles, je n'avais reçu aucun dossier sur ces gens, alors comment voulez-vous que j'exerce mon métier dans de telles conditions?
Je l'exerçai néanmoins avec courage, non sans réserver à Rinri un chien de ma chienne. Celui-ci débarrassa les bols de consommé de catleya et les remplaá, pour ma plus grande frustration, par des ramequins individuels de chawan mushi, et moi qui vendrais père et mère pour ce flan de fruits de mer et de champignons noirs au fumet de poisson qu'il faut manger brûlant, je sus que je ne pourrais en avaler une bouchée, car j'en étais à expliquer pourquoi l'Orval est la seule trappiste à boire à température ambiante.
C'était une version belge de la Cène, oùy un Christ du plat pays brandissait un calice, empli non de vin mais de bière, et disait: Ceci est mon sang, la blanche de l'Alliance nouvelle et éternelle, versée pour vous et pour la multitude en rémission des péchés, vous ferez ceci en mémoire de mon sacrifice, parce que pendant que vous ripaillez vos coquilles Saint-Jacques, y en a qui bossent, quant au treizième qui se cache derrière ses fourneaux et qui n'ose même pas venir me donner le baiser de Judas, il ne perd rien pour attendre.
Celui qui avait osé se prétendre le samouraï Jésus apporta le dessert, du blanc-manger au thé de cérémonie dont je ne vis pas la couleur, car j'en étais à ma péroraison:
- Beaucoup des bières dont j'ai parlé ce soir sont en vente chez Kinojunya et même certaines d'entre elles au supermarché Azabu.
J'eus droit à mieux qu'un tonnerre d'applaudissements: je m'aperçus qu'ils terminaient leur repas en un parfait confort mental, bercés par le bruit de fond que ma conférence leur avait assuré. Ils avaient atteint cette répletion de sens que peut apporter un festin dégusté dans une tranquillité absolue. Je n'avais pas été inutile.
Ensuite, Rinri nous pria d'aller dans le salon et se joignit à nous pourle café. Dès qu'il fut parmi nous, les invités redevinrent des jeunes gens de vingt et un ans venus passer la soirée chez leur camarade: ils se mirent à deviser le plus naturellement du monde, à rire, à écouter Freddy Mercury en fumant, à s'ffaler jambes écartées. Moi qui avais d affronter le silence de onze bonzes d'un raideur sans faille, je sentis le désespoir m'envahir."
9 de julio de 2010
Las cenas japonesas y el silencio
Hace poco he terminado de leer una novela que me ha gustado mucho: Ni d'Ève ni d'Adam de Amèlie Nothomb, y en ella he encontrado la descripción de una curiosa costumbre nipona:
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1 comentario:
Me gusta tu blog por los tutoriales de gimp :) espero que los sigas haciendo!
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